Les Sabots d'IA

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Laissez-vous conter l'histoire de la jument la plus légendaire de l'ancien temps !

Couverture de la nouvelle Les Sabots d'IA

Les Sabots d'IA

Une mythologie Savoyarde

Notre histoire se déroule au troisième siècle avant notre ère, à l’époque où Hannibal se mit en route pour la reconquête de Rome. Le Général, qui avait déjà conquit toute l’Hispanie, reçut avant son grand départ le plus beau des cadeaux qui fut jamais offert à un chef de guerre. Le plus grand chef Ibère de son temps, Balarain, vint en personne lui offrir son bien le plus précieux en gage de respect. Il s’agissait là d’une jument sauvage, dont on dit qu’elle venait des lointaines contrées d’Egypte. Sa robe était d’un blanc éclatant, si bien qu’elle en était aveuglante sous le soleil au zénith. Elle mêlait sa beauté à une grande noblesse, mais refusait le contact de l’homme, si bien qu’aucun seigneur ou prince de ce temps n’avait encore pu briser sa volonté. Voyant qu’il tenait là une possible monture sans égal dans le monde connu, Hannibal y vit un signe de sa bonne fortune à venir et mêla la jument au voyage, prévoyant de la dompter sitôt qu’il serait rentré à Rome. Il partit donc de Carthagène à la tête de cent mille hommes, près de dix milles cavaliers et chevaux, mais une seule ne pouvait être montée. La jument faisait preuve d’une telle hardiesse, qu’il fallut l’entraver nuit et jour, et la faire constamment surveiller. Malheureusement, l’épreuve de ce long périple eût tôt fait d’épuiser la jument, qui céda à mesure sous la fatigue.

Or, il advint qu’Hannibal dut traverser les Alpes pour toucher à son but et vint à traverser les terres des Allobroges. Partout où ils firent halte, les Carthaginois exposaient leur puissance et leurs bêtes venues d’un autre continent, et la vue des éléphants stupéfiait les peuples autochtones. Mais ils étaient plus fascinés encore par la beauté de la jument, si bien qu’ils la nommèrent « IA », en hommage à la déesse qui couvrait l’hiver leurs monts de son blanc manteau.

Il devait être écrit que le feu d’un esprit si libre ne devait pas souffrir d’un maître si longtemps. Bientôt les troupes d’Hannibal arrivèrent à l’endroit où les deux plus grandes rivières de la région se rejoignaient au pied d’une haute cime drapée de blanc. Or, jamais encore IA n’avait contemplé de plus beau spectacle offert par la nature, même dans les lointaines contrées qui l’avaient vu naître. À cette vue, elle sentit son cœur s’enflammer et une énergie nouvelle parcourut son corps. Alors, par la seule force de sa volonté, elle se défit de ses entraves et échappa à la surveillance des hommes qui la tenaient captive. Lorsqu’il apprit la nouvelle, Hannibal fut pris d’une telle rage, qu’on eût crut qu’il avait perdu toute son armée. Dans sa colère, il dépêcha ses meilleurs coursiers à sa poursuite, mais en vain, car aucun cheval foulant le monde à cette époque n’était assez rapide. Hannibal, amer, dut se résoudre à continuer sa route vers Rome, sans la jument. Bien qu’il réussît la traversée des Alpes, il semblait que la fortune l’avait quittée et il échoua finalement dans son entreprise de reconquête de l’antique cité.

De son côté, IA galopait librement par monts et par vaux, se déjouant de la raideur des pentes, de la force des torrents ou du froid de l’hiver. Elle fit siennes les terres bordant la confluence, et prit pour voisins les peuples alentours, qui l’aimaient profondément pour la liberté qu’elle incarnait. Jamais plus aucun homme ne tenta de la soumettre, si bien qu’elle rendit souvent visite aux villageois, qui lui rendaient hommage à chaque fois. Sa légende fut ainsi longtemps chantée dans toute l’Allobrogie et son souvenir y est resté vivace.

Aujourd’hui encore, quand la neige vient l’hiver couvrir de silence les prés de la Savoie, l’amoureux des chevaux qui tendra l’oreille entendra résonner dans son cœur le martellement des Sabots d’IA.